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Sur les hétérotopies de Michel Foucault

Author: Noé Gross (Université Libre de Bruxelles)

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    Sur les hétérotopies de Michel Foucault

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Abstract

It has become more and more difficult to enumerate the uses of the notion of heterotopia in academic as well as in the artistic fields and the activist communities. As a result, this article aims to give a renewed perspective on the stakes of the notion of heterotopia introduced by Michel Foucault in 1966. The fluctuations of the concept, and the need to specify it, force us to examine its genealogy. Our work will then consist in historicizing this notion by a chronological reading of its deployment in Foucault's work. In the course of this investigation, we will explore the commentators' repetitions in order to expose heterotopia to its potential critical and emancipatory implications. We are indeed convinced that it is most irrelevant to study the corpus of heterotopias without immediately, and at the same time, explore the way in which users have grasped this notion and, doing so, shaped it.

Keywords: heterotopia, politics of imagination, otherness, subjectivation, Foucault, Didi-Huberman

How to Cite: Gross, Noé. "Sur les hétérotopies de Michel Foucault." Le foucaldien 6, no. 1 (2020): 1–40. DOI: https://doi.org/10.16995/lefou.72 [Note: In 2022, Le foucaldien relaunched as Genealogy+Critique.]

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21 Sep 2020
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1. Introduction

Cet article sur les hétérotopies de Michel Foucault historicise, problématise et prolonge les réflexions engagées par le philosophe dès 1966 autour du concept si fécond d'hétérotopie, qui s’élabore par distinction de celui d'utopie. Nous verrons à travers quelle impossibilité, dans sa préface à Les Mots et les Choses (1966), Foucault énoncera pour la première fois ce terme à propos du texte de Jorge Luis Borges sur l'encyclopédie chinoise, distinguant les hétérotopies capables d'inquiéter la relation entre les mots et les choses, des utopies, elles, dans le droit fil du langage. Quelques mois plus tard, en décembre 1966, lors de deux conférences radiophoniques prononcées à France Culture, Foucault proposera un développement de ces "utopies réelles" ou "autres lieux" que sont les hétérotopies qui s'opposeront ainsi de plus en plus explicitement aux utopies, ces dernières étant dépourvues de lieux réels. Consécutivement, dans une conférence donnée au Centre d'études architecturales le 14 mars 1967, soit trois mois après, Foucault poursuivra l'étude de ces "espaces autres", appelant de ses vœux, sinon une science, du moins une description systématique de ces lieux que chaque culture dans le monde constituerait en son sein. Foucault n'autorisa la publication de ce dernier texte qu'au printemps 1984, à la veille de sa mort. Dans le long entretemps qui sépare ces dates, Foucault ne relèvera qu'à une seule reprise son étude des hétérotopies dans le cours sur la sexualité qu'il donne à l'université de Vincennes (1969) dans le contexte de l'après Mai 1968 et de l'omniprésence du thème de la libération sexuelle.

Dessiner la généalogie du concept d'hétérotopie de Michel Foucault commence donc par s'opposer à ce récit silencieux. L'enquête, plus que de situer le concept dans la trame interne de l'œuvre, doit s'attacher à faire parler cette histoire de commencements hasardeux, à en dégager la contingence, et à tracer un chemin possible à travers les reprises dispersées. Une chose est certaine, la notion d'hétérotopie que Michel Foucault invente en 1966 est d'emblée complexe, multiple et hétérogène. L'histoire de son émergence et de ses reprises impose, comme nous le verrons, une certaine précaution. L'étude ici entreprise répond d'un tel principe de précaution en replaçant l'hétérotopie dans la chronologie de son apparition. Mais il s'agit toujours également de partir de la manière dont cette notion nous arrive, c'est-à-dire de parler à partir d'elle comme étant déjà modifiée par les usages et les mésusages plus contemporains. En effet, nous pensons que c'est uniquement de cette lecture que nous pourrons exiger, quant à son utilisation, prudence et pertinence. Celles-ci ne descendent pas d'une autorité souveraine, mais s'énoncent à travers la généalogie du concept qui nous occupera désormais. Nous terminerons notre article par une réflexion sur les sens et les devenirs multiples du concept d'hétérotopie, ainsi que sur les critiques qui lui ont été adressées. Nous nous autoriserons alors de notre enquête et des principes que nous avons posés afin de proposer une ouverture aux sens à travers lesquels le terme d'hétérotopie peut être pensé, notamment dans ses implications critiques, politiques et émancipatoires.

2. L'impossibilité nue de penser cela

Qu'est-il donc impossible de penser, et de quelle impossibilité s'agit-il?1 La question par laquelle Michel Foucault ouvre son ouvrage majeur Les Mots et les choses résonne avec le terme qu'il évoquera lui-même quelques pages plus loin pour la première fois sous le nom d'hétérotopie. L'énumération monstrueuse de Borges – tirée "d'une certaine encyclopédie chinoise" sur les animaux où se mêlent bizarrerie et rencontres insolites – dans laquelle le livre de Foucault trouve son lieu de naissance impossibilise quelque chose de fondamental, non pas le voisinage des choses, mais "le site lui-même où elles pourraient voisiner".2 C'est l'espace commun des rencontres qui est ruiné, la rencontre ou la juxtaposition ne pouvant s'opérer que dans la voix de l'énumération ou le non-lieu du langage, n'ouvrant "qu'un espace impensable".3 La littérature, au regard de Foucault – celle de Borges en témoigne –, semble ainsi se situer face au langage dans le même rapport que la pensée entretient avec le savoir, le langage murmurant le savoir non su de celle-ci.4

À travers ces paroles, Foucault ne visait qu'à mettre en évidence le malaise tenace plein d'émerveillement que suscite le texte de Borges qui ébranle la limite de notre propre pensée pour l'arrimer à l'expérience du surgissement d'un bord en son centre: étrangeté secouant "notre pratique millénaire du Même et de l'Autre".5 Nous voici désormais aux bords des surfaces ordonnées qui offrent familiarité et possibilité de juxtaposition, c'est-à-dire aux bords d'un sol, d'un lieu commun sur lequel les rencontres aussi insolites soient-elles pouvaient se produire. L'inquiétude que traduit Foucault ne vient pas des choses en ce qu'elles seraient elles-mêmes fabuleusement impossibles, mais de l'impossibilité de l'espace vide entre elles, de l'entre-deux interstitiel, du lieu commun où elles pourraient voisiner: "Les animaux "i) qui s'agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un très fin pinceau de poils de chameau", – où pourraient-ils jamais se rencontrer, sauf dans la voix immatérielle qui prononce leur énumération, sauf sur la page qui la transcrit?"6

L'emplacement muet, la "table d'opération" est retirée, et le désordre n'est plus celui de l'incongru mais celui de l'hétéroclite. Là:

{Les choses sont}"disposées" dans des sites à ce point différents qu'il est impossible de trouver pour eux un espace d'accueil, de définir au-dessous des uns et des autres un lieu commun. Les utopies consolent: c'est que si elles n'ont pas de lieu réel, elles s'épanouissent pourtant dans un espace merveilleux et lisse; elles ouvrent des cités aux vastes avenues, des jardins bien plantés, des pays faciles, même si leur accès est chimérique. Les hétérotopies inquiètent, sans doute parce qu'elles minent secrètement le langage, parce qu'elles empêchent de nommer ceci et cela, parce qu'elles brisent les noms communs ou les enchevêtrent, parce qu'elles ruinent d'avance la "syntaxe", et pas seulement celle qui construit les phrases, – celle moins manifeste qui fait "tenir ensemble" (à côté et en face les uns des autres) les mots et les choses. C'est pourquoi les utopies permettent les fables et les discours: elles sont dans le droit fil du langage, dans la dimension fondamentale de la fabula; les hétérotopies (comme on en trouve si fréquemment chez Borges) dessèchent le propos, arrêtent les mots sur eux-mêmes, contestent, dès sa racine, toute possibilité de grammaire; elles dénouent les mythes et frappent de stérilité le lyrisme des phrases.7

À l'inverse de l'utopie qui console, l'hétérotopie inquiète, peut-être jusqu'à nous inquiéter, secouer les familiarités de notre pensée, suspendant, bloquant et faisant vaciller nos manières de représenter, de classer et de catégoriser. Du texte de Borges, Foucault invente pour s'en emparer cette notion d'hétérotopie, la fabrique pour en user et traduire cette inquiétude qui rendrait impossible la pratique par laquelle nous faisions jusqu'alors tenir ensemble les mots et les choses. Qu'est-il donc impossible de penser et de quelle impossibilité s'agit-il ? À affronter cette question nous serions conduits d'attirances féroces en chemins déplaisants à l'autre vie du savoir et de l'art (ou du savoir sur l'art)8 cherchée et trouvée par Georges Bataille qui pour Foucault, moins dans l'organisation d'un système d'idées qu'au fil d'une écriture de la vie, avait "fait entrer la pensée dans le jeu – dans le jeu risqué – de la limite, de l'extrême, du sommet, du transgressif."9 Nous sommes donc toujours au bord depuis lequel Foucault devait exhumer les archives textuelles de l'anormalité, de la folie, et toute une série d'expériences anomiques et d' "hommes infâmes". Mais cette question dessèche le propos et le pouvoir du "dire", la sidération entrainée par la monstruosité de l'énumération de Borges empêche la prise de parole depuis une voix assurée qui ne se risquerait pas à "franchir la ligne, passer de l'autre côté",10 c'est-à-dire sans se compromettre, sans tenter d'articuler un discours précaire et incertain, des mots presque impossibles: hantise, son étrange, résonance jusqu'au plus profond de nous-mêmes; par le pouvoir de l'étrangeté "c'est à notre sol silencieux et naïvement immobile que nous rendons ses ruptures, son instabilité, ses failles; et c'est lui qui s'inquiète à nouveau sous nos pas."11

3. Les espaces autres

Le corpus de texte de Michel Foucault sur la notion d'hétérotopie est très limité. "Des espaces autres"12 est une conférence que donne Foucault au Cercle d'études architecturales, le 14 mars 1967. Cette conférence est reprise dans le volume Dits et Écrits II, et Foucault n'autorisa la publication de celle-ci qu'au printemps 1984. Cette version de 1984 donc, est significativement différente de celle reprise dans le livre Le corps utopique, les hétérotopies de Michel Foucault et présenté par Daniel Defert.13 Il s'agit là de la retranscription de conférences radiophoniques prononcées par Michel Foucault en décembre 1966, texte qu'il retravaillera pour sa conférence quelques mois plus tard.

Nous sommes en Tunisie, à la toute fin de l'année 1966, au bord du basculement d'une année dans une autre, quelque part sur les hauteurs de Sidi Bou Saïd où s'est établi Michel Foucault. Il rédigera lors de ses années tunisiennes le manuscrit de L'Archéologie du savoir (à paraître en 1969) qui sera pour lui une mise au point ou une manière de se déprendre de la réception de Les Mots et les choses, de ses mauvaises lectures, des malentendus, des contresens et des malveillances, notamment en se dégageant du "structuralisme". Son travail théorique lui permet de changer dans ses analyses, de les renouveler, de les remanier, attitude qu'il revendiquera :

Non, non, je ne suis pas là où vous me guettez, mais ici d'où je vous regarde en riant. Eh quoi, vous imaginez-vous que je prendrais à écrire tant de peine et tant de plaisir, croyez-vous que je m'y serais obstiné, tête baissée, si je ne préparais – d'une main un peu fébrile – le labyrinthe où m'aventurer, déplacer mon propos, lui ouvrir des souterrains, l'enfoncer loin de moi-même, lui trouver des surplombs qui résument et déforment son parcours, où me perdre et apparaître finalement à des yeux que je n'aurais jamais plus à rencontrer ? Plus d'un comme moi sans doute écrit pour ne plus avoir de visage. Ne me demandez pas qui je suis et ne me demandez pas de rester le même ; c'est une morale d'état civil ; elle régit nos papiers. Qu'elle nous laisse libres quand il s'agit d'écrire.14

Foucault s'installe en Tunisie pour enseigner la philosophie à l'université,15 il fait la connaissance de Jean Daniel et dans ce nouveau décor parait fuir la philosophie, se réfugier dans la littérature:16 il entame une nouvelle stylisation de son existence,17 poursuivant le remaniement théorique par d'autres moyens, travaille – selon le vœu de Nietzsche – à "devenir chaque jour un peu plus grec, sportif, bronzé, ascétique".18 Le 7 décembre 1966, à l'invitation de Robert Valette qui consacre une série d'émissions sur France Culture aux rapports entre l'utopie et la littérature, Foucault propose une analytique nouvelle de l'espace par l'intermédiaire du concept d'hétérotopie, terme étymologiquement construit pour spécifier certains lieux de notre réalité ayant comme caractéristique d'être absolument différents: des lieux qui s'opposent à tous les autres, qui sont destinés en quelque sorte à les effacer, à les neutraliser ou à les purifier. Ce sont des contre-espaces, des utopies localisées, situées, que toute société organise en elle-même comme ses dehors, ses lieux réels hors de tous les lieux. L'hétérotopie n'est pas une utopie, puisqu'il faut réserver ce nom à ce qui n'a vraiment aucun lieu (u-topos), mais nomme des emplacements bien réels ayant "la curieuse propriété d'être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu'ils suspendent, neutralisent ou inversent l'ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés, réfléchis".19 Ces espaces effectifs, qui sont en liaison avec tous les autres, qui contredisent pourtant tous les autres emplacements, ces contre-emplacements, espaces absolument autres, sont cette multiplicité de lieux que Michel Foucault a décidé de rassembler et de désigner sous ce néologisme d'hétéro-topie (formé des éléments grecs topo-, de topos "lieu" et hétér(o), hétéro-, "autre": "lieu autre").

Daniel Defert a donné de précieux éléments de généalogie de l'hétérotopie, et à en suivre les traces, à s'y perdre, à en trouver encore d'autres, on ne peut que s'étonner. Comme il le montre dans sa post-face de la conférence de Foucault,20 le terme d'hétérotopie a connu une suite d'aventures, d'épreuves et d'obstacles surmontés. Les tribulations de ce concept l'emmènent à traverser les frontières disciplinaires, se voyant repris par les architectes, les urbanistes, les anthropologues, les géographes, les sociologues, les historiens, les artistes, les photographes, les cinéastes, les cultural studies, autant que par certaines communautés et mouvements qui en renouvellent constamment son sens. L'anthropologue Michel Agier analyse notamment le campement urbain comme hétérotopie et comme refuge, lieux d'enquêtes hétérotopiques fréquentables par l'ethnographe21 qui constituent un paysage mondial d'espaces précaires nés des politiques de mise à l'écart – des favelas brésiliennes aux camps de réfugiés africains ou ceux de migrants en Europe. Ces espaces précaires relégués, vus depuis "l'extérieur" (l'extérieur de l'extérieur), apparaitraient de la même manière que l'hétérotopie comme une entité permettant de localiser une altérité par opposition à laquelle nous pouvons penser le même : un soi ou un "nous" "réels, pleins, vivants, sains, normaux, citoyens, actifs, etc.",22 au miroir social, politique et moral à partir duquel ils se remplissent. Nous quitterions ici la représentation d'un dehors de la pensée ou de la société sans consistance, représentation ethnique ou culturaliste de l'altérité dans laquelle le dehors n'agit que comme une aura qui attire en se retirant, ne livrant jamais son essence,23 inaccessible. Cependant à décentrer le regard et à le poser depuis leur expérience intérieure, les campements qu'investit Michel Agier naissent comme des abris ou des refuges, s'urbanisant et se pérennisant, posant constamment la question des devenirs des lieux eux-mêmes et de cette logique contemporaine d'encampement du monde.24 Les camps, – une des composantes majeures de la "société mondiale" actuelle et lieux de la vie quotidienne de dizaines de millions de personnes dans le monde – caractérisés par le confinement et une certaine extraterritorialité, sont bien des "lieux hors de tous les lieux", des hors-lieux: nous revoici aux bords ou aux limites des surfaces ordonnées, d'un sol commun sur lequel les juxtapositions et les rencontres seraient possible.

Revenons à l'étonnement, car on le retrouve en regard de l'importance qu'a accordée la philosophie foucaldienne à l'articulation entre le pouvoir et l'espace, particulièrement dans les analyses sur le panoptique de Bentham et la prison, le dispositif architectural jouant partie liée avec l'ordre disciplinaire, et plus généralement dans tout exercice du pouvoir:25 comment n'avons-nous pas compris l'importance nouvelle de l'espace et de la spatialité dans l'œuvre de Foucault?26 C'est le géographe-urbaniste Edward Soja qui pose la question, ardent promoteur de cette "heterotopology" dont il ouvrira une chaire à l'Université de Californie à Los Angeles. Cette surprise s'est aujourd'hui considérablement atténuée suite à l'abondance des reprises et des commentaires. Cependant, il serait toujours pertinent de s'étonner de l'attirance de toutes celles et ceux qui s'intéressent aux questions d'espaces et de pouvoir, de lieu et de subjectivation, de transformations et de devenirs, vers un texte qui semble demeurer silencieux quant au pouvoir – aucune occurrence –, poétiquement ambivalent quant aux images qu'il suscite – "à l'image d'un navire qui, voguant sur les flots, pourrait dénoter un désir corsaire de libération comme un ignoble commerce d'esclaves entre l'Afrique et l'Amérique…"27 –, et troublant quant à l'hétérogénéité de son montage – mélangeant des considérations générales sur l'espace aux côtés d'exemples d'une extraordinaire diversité d'allures: maison close, musée, cimetière, jardin, train, motel américain, colonie de jésuites, prison, hammam, voyage de noces, etc. Surprenant disions-nous donc (ou peut-être pas), que cela ait moins découragé qu'encouragé son utilisation et que sa répétition dans tous les champs en définisse une valeur d'usage "libertaire" auprès des lecteurs de Foucault.

L'enthousiasme pour la notion d'hétérotopie, que ce soit pour l'étude de villes (postmodernes),28 de camps,29 de zones d'autonomie temporaire (selon la notion introduite par Peter Lamborn Wilson, dit Hakim Bey30), que ce soit concernant la nature urbaine dans ses possibilités d'implications et de transformations politiques, queer,31 la société capitaliste dans son rapport aux villes,32 qu'elle soit étudiée en rapport avec le devenir des subjectivités minoritaires, gay,33 avec le mouvement féministe,34 dans la littérature de voyages,35 ou plus généralement envisagée dans son rapport avec notre modernité,36 l'enthousiasme, disions-nous, est tel que l'hétérotopie est régulièrement utilisée, travaillée et renouvelée. Elle reste sans doute une large partie du temps simplement invoquée, ponctuellement employée ou même uniquement mentionnée voire brièvement évoquée.

Il n'y a pas encore d'histoire de son utilisation – qui exigerait un considérable travail historiographique (tant les méthodes, les objets et le croisement des sources diffèrent) –, des éléments généalogiques existent,37 mais à la diversité des formes et des usages entraînants, répond aussi une inconsistance dans les déformations du concept auxquelles ses utilisateurs s'adonnent. Il est possible, justement, de procéder avec méthode, et ainsi de rendre compte de ce concept. Il est possible, aussi, de l'utiliser sans avoir pour objectif d'en dégager toutes les implications analytiques. Mais dans les deux cas, ce qu'il ne serait pas conséquent de faire, c'est se contenter d'idées générales qui permettraient de tenir une position historiographique légitimant de ne pas s'investir dans la teneur expérimentale de ce concept.38 Cette position négligerait une des principales avancées de la discipline historiographique du XXe siècle, d'ailleurs constitutive des sciences sociales en général, qui ont pris conscience de la "perspective partielle" depuis laquelle elles opéraient leurs énoncés, leur scientificité ne se construisant pas d'elle-même au nom d'une rationalité universelle mais depuis des "savoirs situés" dont l'objet est l'identification du lieu d'où parle celui ou celle qui prétend précisément "parler pour". Ainsi, l'engagement dans un point de vue est devenu la condition même de l'objectivité, engageant ipso facto les responsabilités de toute production de connaissance, nous rendant "non-innocents" quant aux usages de nos abstractions: "il n'y a, dans un monde aussi multiple et aussi partiellement connecté, aucun site de repos."39 Nécessité donc, pour savoir, de "prendre position",40 de savoir trancher, c'est-à-dire se situer relativement face au savoir et au non-savoir que ce premier implique fatalement, mais aussi face au temps. Il faut savoir:

Se tenir dans deux espaces et dans deux temporalités à la fois. Il faut s'impliquer, accepter d'entrer, affronter, aller au cœur, ne pas louvoyer, trancher […] aussi – parce que trancher l'implique – s'écarter, violemment dans le conflit, ou bien légèrement, comme le peintre lorsqu'il s'écarte de sa toile pour savoir où il en est de son travail. On ne sait rien dans l'immersion pure, dans l'en-soi, dans le terreau du trop- près. On ne saura rien, non plus, dans l'abstraction pure, dans la transcendance hautaine, dans le ciel du trop-loin. Pour savoir, il faut prendre position, ce qui suppose de se mouvoir et de constamment assumer la responsabilité d'un tel mouvement. Ce mouvement est approche autant qu'écart: approche avec réserve, écart avec désir. Il suppose un contact, mais il le suppose interrompu, si ce n'est brisé, perdu, impossible jusqu'au bout.41

Cette position à camper n'a rien de simple, impliquant de ne pas se contenter de paroles creuses qui n'engagent à rien ("se payer de mots"), et de répondre des différents "monstres prometteurs ou destructeurs" que nos mots et nos perspectives contribueront à fabriquer, plus proche d'une politique de l'imagination42 attentive au beau danger de la fabrication et de la fragilité des images, que d'une doctrine passe-partout, clé universelle dans laquelle nos mots de passe peuvent devenir des mots d'ordre. Lorsqu'elle s'intensifie au contact d'un montage imaginatif qui tend à faire sentir l'importance de son invention et de son utilisation, articulant alors son déplacement et la non-innocence de ce geste, l'hétérotopie évite la scalabilité l'immunisant à l'indétermination des rencontres et à une expansion facile n'engageant aucune forme de prise de risque ou de prise de position. Si l'extraction du terme d'hétérotopie du corpus foucaldien se produit sous un mode presque magique, dont on se demande à quoi il renvoie – c'est-à-dire que s'il n'est là que pour euphémiser, esthétiser, autoriser des transitions cavalières, s'il n'est pas rendu important dans l'intérêt d'une construction – le concept se dilue sans être exploré ou rendu sensible. Il faudrait pointer l'insuffisance d'invoquer incomplètement et selon une convenance déguisée la définition de l'hétérotopie du corpus foucaldien et de la lâcher ainsi sans nécessité ni consistance.

Si ce qui importe, ce n'est pas tant la notion refermée sur elle-même, ce qu'elle est, mais plutôt ce qu'elle engage comme devenir, ce qu'elle est susceptible elle-même de devenir, de faire, de "faire faire", s'ouvre alors tout un domaine inédit de l'expérience dans lequel la connaissance ne pourra se délier d'une exploration, d'un "aller y voir". Il faudrait presque suivre, à la manière dont le pragmatisme américain a opéré un "empirisme radical", cette proposition de William James dans les Essays in radical empiricism: "nous ne pouvons admettre dans nos constructions aucun élément dont nous ne faisons pas l'expérience, ni exclure de celle-ci tout élément dont nous faisons l'expérience".43 Expérimenter, décrire précisément, justement, se rapprocher, s'écarter, traverser la frontière, se situer entre deux espaces, deux mondes, tel un "contrebandier" qui fait l'expérience de vivre de chaque côté de la frontière,44 se rendant ainsi capable de voir les possibilités éventuelles de différents passages.45 S'il s'agit pour l'hétérotopie d'en user afin qu'en retour elle use nos catégories, certes, quitte à la déformer, quitte à la déplacer, quitte aussi à laisser certaines de ses dimensions inconnues en vue de gagner un savoir ou de permettre une sensibilité et une intelligibilité, cette utilisation qui est elle-même déformation ne peut pas être inconséquente ou impertinente, ce qui serait le cas d'une simple expérience de pensée suivant la démarche analytique, celle d'un "ailleurs" vague et lointain, inatteignable puisqu'étant "là-bas" et pas "ici", échappant à jamais à nos cadres de pensée tel ce dehors séduisant mais immanquablement vide. Foucaldiser sa pratique c'est, comme l'enseignait la philosophie des problématisations de Michel Foucault, se demander chaque fois et à chaque moment "quel est le problème?" – notion de problème autour de laquelle circule une certaine "inquiétude de l'histoire"46 travaillant à l'entailler pour y trouver un écart (un passage), une discontinuité. Penser l'hétérotopie nécessiterait alors de quitter une image métaphorique pour se donner les moyens d'en activer l’importance : en quoi déforme-t-elle nos cadres de pensée?, quelle expérience y faisons-nous?, quand, où, comment, pourquoi?, que reconfigure-t-elle, qu'est-ce qu'elle change, transforme, défigure?

Nous sommes, avec cette attention aux abstractions et cette politique de l'imagination, très éloignés d'une expérience en imagination (thought experiment en anglais ou Gedankenexperiment en allemand) dont la méthode en philosophie analytique ne vise qu'à imaginer à l'aune de possibilités non-réelles: la pensée de Foucault aura, elle, envisagé une vie de la pensée articulée d'expériences hétérotopiques réelles – voire une "vie autre" comme étant le réel par excellence – et non pas imaginaire.47

4. Une lecture

Retour en 1967, Michel Foucault est de passage à Paris sur invitation de Ionel Schein pour donner une conférence sur ces "espaces autres" dont il a parlé quelques mois plus tôt, mais devant un autre public, occasion pour Foucault de revenir sur ce texte et d'y apporter déjà quelques remaniements. Occasion, également, d'explorer plus longuement cette notion à laquelle il vient de donner ses premiers souffles.

Foucault commence son exposé en distinguant deux siècles : le XIXe siècle concerné par l'histoire et le XXe siècle concerné par l'espace. L'histoire a obsédé le XIXe siècle: "thèmes du développement et de l'arrêt, thèmes de la crise et du cycle, thèmes de l'accumulation du passé, grande surcharge des morts, refroidissement menaçant du monde."48 L'empilement de passé qui caractérise notre présent n'est rien de moins que l'histoire – des images, des paysages, des visages et de toutes les manières d'accrocher des récits à ces traces – ou l'archéologie de l'empreinte que fait le temps dans la matière, caractérisée par une évolution et une irréversibilité: hier n'est plus aujourd'hui. Cependant, à cette obsession a succédé une autre : notre époque actuelle, avance Foucault, serait peut-être celle de l'espace. L'espace aurait ainsi pris une importance de premier plan sur le temps, tournant spatial ("spatial turn")49 de l'époque contemporaine qui est en lui-même une contestation du paradigme historiciste. Le monde est désormais un réseau qui relie des points : c'est l'époque du simultané, de la juxtaposition, du proche et du lointain, du côte à côte et du dispersé. L'espace, conçu comme un réseau reliant ces points, les juxtaposant, les opposant, les impliquant, et donc les configurant, serait notre manière de traiter du temps et de ce que l'on nomme l'histoire, bien que l'espace ait également, lui aussi, toute une histoire.

Foucault commence ainsi une brève histoire de l'espace par le Moyen-Âge, qui définissait la localisation avec un ensemble hiérarchisé de lieux (lieux sacrés, lieux profanes ; lieux protégés, lieux ouverts). Avec Galilée, faisant œuvre scandaleuse, cet espace s'ouvre, infiniment, faisant exploser les oppositions par cette ouverture maximale, infinie, substituant à la localisation la vaste étendue : la Terre tourne désormais autour du Soleil au sein d'un univers dans lequel elle n'est plus le point central. Mais aujourd'hui qu'en est-il? Ne se retrouve-t-on pas davantage avec un espace défini par les relations qu'il entretient avec son voisinage, un espace où les éléments prennent littéralement "place" quelque part dans un tissu de relations, au carrefour de plusieurs autres points, dans les lignes de plusieurs autres emplacements ? L'espace contemporain est strié, quadrillé, et relie les points aux autres : c'est l'époque de l'emplacement, de la place, et du site. C'est ainsi également un espace qui permet toutes sortes de stratégie d'information, de circulation, de distribution, de codes, de stockage, de repérages, de classement – réseau de savoir et de formalisation de l'espace. Or, si le temps semble avoir été désacralisé au XIXe siècle comme le pense Foucault, l'espace lui semble en être resté à sa désacralisation théorique, cette ouverture scandaleuse qu'avait opérée Galilée dans le cosmos, car dans la pratique, nous vivons toujours dans un espace habité d'oppositions auxquelles on ne peut pas toucher, auxquelles l'institution et la pratique n'ont pas encore osé porter atteinte.

Notre rapport à l'espace serait donc encore et toujours sacralisé. Foucault écrit : "nous n'avons peut-être pas encore accédé à une désacralisation pratique de l'espace."50 Preuve en est, le rapport d'oppositions que nous continuons à avoir au lieu : l'espace public en opposition à l'espace privé, l'espace de travail en opposition à l'espace de loisir, l'espace familial en opposition à l'espace social, autant de ruptures qui s'opèrent dans notre rapport quotidien à l'espace. Ces lieux comme la salle d'attente, la salle à manger, la salle de jeux, la salle de réunion, les maisons, les bureaux, sont des exemples qui font partie de ce que Foucault appelle l'espace du dedans, et ces lieux sont encore animés "par une sourde sacralisation."51 Les travaux de Bachelard et les descriptions des phénoménologues nous ont appris les différences qualitatives des espaces au sein de notre expérience vécue, qu'elle soit individuelle ou sociale; appris, également, que nous ne vivons pas dans un espace abstrait, homogène et vide, neutre et blanc, "le rectangle d'une feuille de papier", mais que cet espace dans lequel nous vivons est un espace hétérogène, tout chargé de qualités:

Un espace qui aussi peut être hanté de fantasme; l'espace de notre perception première, celui de nos rêveries, celui de nos passions, détiennent en eux-mêmes des qualités qui sont comme intrinsèques: c'est un espace léger, éthéré, transparent, ou bien c'est un espace obscur, rocailleux, encombré; c'est un espace d'en haut, c'est un espace des cimes, ou c'est au contraire un espace d'en bas, un espace de la boue; c'est un espace qui peut être courant comme de l'eau vive, c'est un espace qui peut être fixé, figé comme de la pierre ou comme le cristal.52

Loin d'un espace de vide à l'intérieur duquel nous pourrions situer des individus et des choses, nous vivons à l'intérieur de ces ensembles de relations qui définissent et établissent des places ou des emplacements inassimilables, irréductibles les uns aux autres, absolument non-superposables.53 Cependant, Foucault souhaite s'écarter des analyses phénoménologiques, aussi importantes soient-elles pour la thématisation de l'espace du dedans, pour s'intéresser à ce qu'il va nommer l'espace du dehors qu'il cherche à construire comme problème. Nous sommes toujours, au gré de cette notion de problème chez Foucault, entourés d'une inquiétude : cette épaisseur de l'espace dans lequel nous vivons, par lequel nous sommes attirés hors de nous-mêmes, poreux, pénétrable, "cet espace qui nous ronge et nous ravine".54

Reprenons. Un lieu est tissé d'un faisceau de relations – relations à l'extérieur, à d'autres lieux – par lequel il est possible de le décrire simplement. Mais certains lieux sont à ce titre très curieux. Il s'agit de ceux – les espaces du dehors – qui agissent comme suspendant, neutralisant ou inversant les rapports qu'ils désignent, reflètent ou réfléchissent: suspension, inversion, neutralisation des relations et des rapports aux autres emplacements, aux autres places, aux autres points sur le damier. Ils sont de deux grands types: les utopies, bien sûr, mais également, et d'une manière plus intéressante, les hétérotopies; des utopies mais qui ont un lieu précis, des "contre-emplacements" dans lesquels "les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l'on peut trouver à l'intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés".55 Lieux hors de tous les lieux, des lieux en dehors de tous les autres, hors de ces lieux irrémédiablement liés entre eux par leurs relations et qui ne se définissent que par ce faisceau, ce tissu, ce réseau. Ce sont des lieux absolument autres, insiste Foucault, radicalement autres "que tous les emplacements qu'ils reflètent et dont ils parlent."56

Foucault distingue donc très nettement l'utopie, l'espace ou l'emplacement sans lieu réel, de l'hétérotopie. Les utopies sont des fictions politiques, des espaces idéaux représentant la société dans sa perfection ou par son envers, soit en vue d'une critique de la nôtre, soit comme représentation et affirmation d'un idéal, c'est-à-dire la représentation fabulée d'une société nécessaire et impossible. Elles renvoient donc à des "lieux" essentiellement irréels dira Foucault et qu'il paraît difficile d'occuper hors de toute spéculation. L'utopie est au futur, à la différence de la ville, du lieu, du sol que nous foulons, qui eux, sont toujours au présent. Les hétérotopies ne sont donc certainement pas sans lieu. Elles désignent des espaces qui appartiennent à notre réalité, mais qui ont un type d'organisation différente : lieux qui échappent à l'organisation, aux règles générales qui régissent le fonctionnement des lieux sociaux habituels. Ces lieux bien réels, ces lieux autres, agissants comme des contre-emplacements, sont présents dans toute culture ou société humaine sous des formes différentes. Michel Foucault exposera par la suite un certain nombre d'hétérotopies différentes : les hétérotopies de déviation: ce sont des lieux comme la prison ou l'asile psychiatrique (où ont été placés les individus considérés déviants par rapport à la norme en place). Les hétérotopies qui juxtaposent en un seul lieu plusieurs espaces incompatibles : le cinéma ou le théâtre. Il y a les hétérotopies qui font varier le temps : d'un lieu où l'on enferme tous les temps (bibliothèque, musée) à un autre où il devient précaire (les lieux de fête). Enfin, Foucault termine sur une note poétiquement ambivalente avec l'image du bateau, hétérotopie par excellence, "un morceau flottant d'espace, un lieu sans lieu [un lieu non assigné à résidence], qui vit par lui-même, qui est fermé sur soi et qui est livré en même temps à l'infini de la mer et qui, de port en port, de bordée en bordée, de maison close en maison close, va jusqu'aux colonies chercher ce qu'elles recèlent de plus précieux en leurs jardins."57

5. Les six principes

Afin de lancer l'étude et la description systématique des hétérotopies, cette science rêvée, baptisée hétérotopologie, ou cette "vision" qu'il avait peut-être aperçue dans un rêve et qu'il essayait de retenir d'une manière très poétique, Michel Foucault a proposé six principes dans lesquels se livrent autant de critères définitionnels permettant d'en fixer la compréhension plus explicitement et d'en déterminer des extensions concrètes.

Le premier consistait à regrouper les hétérotopies et les classer en deux grands types. D'une part les hétérotopies de crise des sociétés dites plus primitives, lieux privilégiés, sacrés ou interdits, réservés aux individus qui se trouvent, par rapport à la société ou le milieu humain dans lequel ils évoluent, en état de crise : les adolescents, les femmes à l'époque des règles, les femmes en couches, les vieillards.58 D'autre part, succédant à la disparition continue de ces hétérotopies de crise,59 les hétérotopies de déviation dans lesquelles "on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée",60 comme les prisons, les cliniques psychiatriques ou les maisons de retraite. Une hétérotopie, comme une norme, a une histoire au cours de laquelle sa valeur d'usage et son fonctionnement seront appréciés différemment : "une société peut faire fonctionner d'une façon très différente une hétérotopie qui existe et qui n'a pas cessé d'exister".61 C'est le deuxième principe, qui s'ancre avec l'exemple du cimetière et de l'histoire de ses mutations dans la culture occidentale. Le troisième principe est sans doute un des plus importants, et la langue de Foucault acquiert une poésie rare :

Troisième principe. L'hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles. C'est ainsi que le théâtre fait succéder sur le rectangle de la scène toute une série de lieux qui sont étrangers les uns aux autres; c'est ainsi que le cinéma est une très curieuse salle rectangulaire, au fond de laquelle, sur un écran à deux dimensions, on voit se projeter un espace à trois dimensions; mais peut-être est-ce que l'exemple le plus ancien de ces hétérotopies, en forme d'emplacements contradictoires, l'exemple le plus ancien, c'est peut-être le jardin. Il ne faut pas oublier que le jardin, étonnante création maintenant millénaire, avait en Orient des significations très profondes et comme superposées. Le jardin traditionnel des Persans était un espace sacré qui devait réunir à l'intérieur de son rectangle quatre parties représentant les quatre parties du monde, avec un espace plus sacré encore que les autres qui était comme l'ombilic, le nombril du monde en son milieu, (c'est là qu'étaient la vasque et le jet d'eau); et toute la végétation du jardin devait se répartir dans cet espace, dans cette sorte de microcosme. Quant aux tapis, ils étaient, à l'origine, des reproductions de jardins. Le jardin, c'est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique, et le tapis, c'est une sorte de jardin mobile à travers l'espace. Le jardin, c'est la plus petite parcelle du monde et puis c'est la totalité du monde. Le jardin, c'est, depuis le fond de l'Antiquité, une sorte d'hétérotopie heureuse et universalisante (de là nos jardins zoologiques).62

Si l'hétérotopie est un découpage spatial, elle est souvent liée à un découpage singulier du temps, une hétérochronie. C'est le quatrième principe. Perte de la vie, lieu autre, temps autre, et éternité à se dissoudre et s’effacer : le cimetière fait fonctionner à plein régime la puissance hétérotopique du lieu. Les musées et les bibliothèques ont également ce caractère fortement temporel, une "accumulation perpétuelle et indéfinie du temps dans un lieu qui ne bougerait pas".63 À l'inverse, les foires circulent et sont liées au temps dans ce qu'il a de plus passager, pareillement aux villages de vacances qui se peuplent et se dépeuplent chroniquement chaque année : abolir le temps, éterniser le temps, chaque fois c'est d'une certaine manière le temps qui se retrouve et qui nous revient.

Le cinquième principe est celui pour lequel "les hétérotopies supposent toujours un système d'ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables. En général, on n'accède pas à un emplacement hétérotopique comme on entre dans un moulin. Ou bien on y est contraint, c'est le cas de la caserne, le cas de la prison, ou bien il faut se soumettre à des rites et à des purifications."64 Enfin, le dernier trait des hétérotopies sera une fonction, un rôle (critique) qu'elles jouent par rapport à l'espace restant, qu'il s'agisse soit de créer une illusion, "créer un espace d'illusion qui dénonce comme plus illusoire encore tout l'espace réel"65 – rôle qu'ont pu peut-être jouer les maisons closes –, soit de créer un espace de compensation, "un autre espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon"66 – rôle qu'ont pu peut-être jouer les colonies. Maisons closes, colonies : deux pôles extrêmes de l'hétérotopie.

En 1969, dans son cours dispensé à l'Université de Vincennes, Foucault notera qu'il "y aurait à faire une étude des hétérotopies sexuelles",67 car "le comportement sexuel est sans doute un des plus sensibles aux modifications de lieu".68 Le comportement sexuel est alors compris comme étant non pas sujet à une, mais des normalités assez différentes, en fonction de conditions spatio-temporelles (chez soi et hors de chez soi, au service militaire et dans le civil, pendant l'année et en vacances…).69 On pourra en trouver des exemples dans ce que Foucault a qualifié comme "hétérotopies de crises": les maisons de jeunes où les garçons sont envoyés à la puberté avec leur compagne, les lieux pour que les jeunes gens non mariés fassent l'amour,70 le système de clôture ou de réclusion pour les femmes qui ne peuvent pas faire l'amour (règles, grossesse), les phases taboues après le décès, les fêtes.

6. Les devenirs inépuisables du concept

Était-ce une si bonne idée que cela ? Les foucaldiens avisés sont longtemps restés perplexes quant à l'autorisation que Foucault accorda de publier son texte au printemps 1984, peu avant sa mort, le trouvant trop structuraliste, trop peu politique, flou, contradictoire, voire vide, banal, dangereux. Nous pourrions douter, nous méfier, mais voilà que, rien à faire, les phrases sont là. Décidément, il reste véritablement infréquentable.71 Pointant les limites du texte dans sa thèse de doctorat à l'UQAM, Hélène Doyon se demande – même à considérer les principes de Foucault comme non-exclusifs et introduits depuis une logique cumulative – comment faire entrer les nombreux exemples hétéroclites des hétérotopies dans les deux grands types, de crises et de déviations, que distingue Foucault: qu'en sera-t-il du jardin, du miroir, du musée, de la bibliothèque…?72 Certains commentateurs, dont Arun Saldanha, professeur au département de géographie de l'Université du Minnesota,73 ont reproché au texte d'être encore empreint d'une logique trop structuraliste, négligeant le caractère relationnel incluant agents prenant part aux relations, réciprocité et antagonisme des lieux (les lieux sont disputés), notamment sur la question politique des antagonismes identitaires dans laquelle les frontières, les délimitations, les frictions entre lieux hétérotopiques sont à considérer comme politiques dans la mesure où, des deux côtés, les lignes tentent continuellement de se maintenir et de se redessiner. D'autre part, par cette empreinte structuraliste, Foucault serait également trop absolutiste et trop totalisant, caractérisant ces lieux comme absolument autres de tous les autres emplacements (la société). La possibilité alors d'une lecture des hétérotopies, qui y verrait une équivalence avec tout espace dans lequel les éléments ne s'additionnent pas entre eux pour former un tout logique, entraine irrémédiablement une production littéraire massive reconnaissant dans des lieux d'enquêtes cette caractéristique "discordante" dont la référence aux hétérotopies – à la manière d'une clé universelle – étendrait la réflexion et serait comme le gage d'une pensée originale et critique.74

Les études sur ou avec les hétérotopies sont, logiquement et pour une majorité, des études se basant sur le terrain. L'anthropologie, la géographie, l'ethnographie,75 l'urbanisme, l’architecture : études (descriptives) qui prennent appui sur des lieux – zones, bâtiments, infrastructures, installations, endroits désaffectés, parcs à thème, camps, villes, théâtres, colonies, rues, culture etc. – problématisant leur enracinement par l'utilisation d'un tel concept. Il est alors bien évident que de vouloir donner une définition immuable de l'hétérotopie est dérisoire. On ne pourra pas passer à côté de la beauté, mais également de l'extraordinaire vide qui hante ce concept. Vide d'autant plus profond qu'il est alimenté et nourri, qu'il n'y règne pas un pesant silence. Et peut-être pouvons-nous nous réjouir simplement de ceci, en sachant qu'il faudra rester avec ce trouble, qu'on ne viendra pas faire autorité, et que la réaction qu'on ne pourra sans doute s'étonner de recevoir dans bien des cas sera sévèrement légitime : "je n'ai pas compris. C'est de la poésie". Dans Spaces of hope (2000), menant une réflexion sur le développement géographique inégal du capitalisme de la fin du XXe siècle, tentant de faire le pont entre la micro-échelle du corps et la macro-échelle de l'économie politique mondiale et afin de penser des "alternatives", David Harvey en appelle à un nouveau type de pensée utopique qu'il nomme "utopisme dialectique" et avance que, malgré la référence explicite aux prisons, aux hôpitaux, aux maisons de retraite, aux musées et aux cimetières etc., c'est "l'évasion" qui est à la base du récit de Foucault – échapper du "nulle part" qui est une utopie paisible, échapper aux normes et aux structures qui emprisonneraient l'imagination humaine76 –, faisant appel à la notion "d'espaces d'ordre alternatif" de Kevin Hetherington dans The badlands of modernity (1997) qui comprenaient les hétérotopies comme étant différents lieux fournissant soit une représentation déstabilisante, soit une représentation alternative des relations spatiales et sociales (une autre façon de faire les choses). Nous aurions donc au sein des analyses, et de la théorie foucaldienne même, cette idée d'une dissémination des espaces et des vécus, qui est l'écartement d'une singularité située, échappant au "nulle part" : espaces dispersés se rendant accueillants à des "formes de vie" différentes et "alternatives". Malgré ses confusions possibles et la réduction qu'elle opère, une telle lecture pourrait éventuellement nous faire sentir cette forme de dispersion qui habita la pensée de Foucault,77 profondément inspirée et nourrie de celle de Maurice Blanchot et de sa poétique lorsque ce dernier définit la poésie comme la dispersion qui a trouvé sa forme.78 Si Michel Foucault, dans son écriture, a fabriqué une certaine dispersion ayant trouvé sa forme, alors là se sédimente une poésie qui nous offre moins une dénotation précise et un message unique à comprendre, qu'un sens de connotations multiples; ces connotations étant elles-mêmes censées ne rien procurer de plus que la possibilité de les remonter nous-mêmes par l'exploration et l'imagination, c'est-à-dire d'ouvrir un sens aux sens: nous ouvrir les yeux, faire travailler notre pensée, solliciter nos propres constellations…79

C'est cela qu'il faudrait tenter de rendre. Non pas prolonger l'utopie par d'autres moyens, en appeler souverainement au changement du monde : tout de suite les grands mots. Ni même se laisser à quelque chose de plus banal, un désordre, une différence polie, un découragement des mots rouillés d'avoir trop servi. Mais se glisser, par eux, dans nos façons de répondre, sans l'épuiser, à cette question posée par Foucault : "Quel est le champ actuel des expériences possibles ?"80 Se situer, donc, dans les interstices de ce qui est actuellement possible. Face aux hétérotopies, la question à poser serait moins d'ontologie, "qu'est-ce que ?", que pragmatique : "comment, où, quand ?". Et ce n'est rien d'autre que l'engagement du chercheur dans son dire : où, quand, comment est-ce que cela "a lieu" ? L'hétérotopie n'est pas un concept qu'on puisse lâcher. Elle est un engagement sur la réalité, un rapprochement de ce qu'on essaie de décrire, de faire exister par cet acte même parfois. Engagement et rapprochement, car l'histoire des hétérotopies, si brièvement écrite par Foucault, ne nous entraîne pas à la réciter béatement, mais au contraire à s'y intéresser dans le pouvoir qu'elle a de déstabiliser notre présent, nos lieux, d'en faire l'archéologie, l'archive – trop rapide sans doute – afin d'ouvrir, comme nous disions, un sens aux sens, un avenir possible, une nouvelle politique encore à venir, une nouvelle forme de vie à se ré-approprier.

On le sait, les espaces autres sont devenus importants depuis la dimension et le sentiment d'un vécu insulaire hétérotopique81 dans les réflexions sur les modes de vie et l'être-ensemble communautaire, minoritaire, ethnique:82 l'identité sociale et politique rattachée à un lieu ou à un certain espace identitaire étant profondément nécessaire aux styles de vie pratiqués dans ces espaces autres. Dans le texte de Foucault, investi d'un formidable imaginaire – le fond du jardin, le grenier, la tente d'Indiens, le grand lit des parents – ces espaces fonctionnent selon des règles d'ouverture et de fermeture qui, selon un principe des hétérotopies que nous avons abordé, "à la fois les isole et les rend pénétrables".83 Comme lieux où règne "l'assujettissement", hétérotopies de crise et de déviation, des individus y sont placés, enfermés, maintenus à l'écart. Par contre, comme refuge d'une individualité, ou d'individualités, y circule tout à la fois ce que je dois être, ce que je suis, ce que je joue, ce que je pourrais être, ce que je voudrais être: plus que d'être accueillantes à un réenchantement du quotidien, elles sont une "réserve d'imagination" qui nous renvoie à notre capacité – dont Henri Michaux s'est fait le poète – d'être inépuisables en expériences.84

Ce que je pourrais être: nous pourrions trouver une résonance à cette formule en lisant Georges Didi-Huberman dans son anthropologie de l'imagination, Désirer désobéir, lorsqu'il cherche à comprendre ce que serait une vie autre à partir de l'expérience (de l')hétérogène qui joue avec elle une quasi-équivalence: une vie (ou une expérience) de l'hétérogénéité, dont l'origine (génos) est "autre" (héteros). L'hétérotopie fait trembler plusieurs fronts : le front politique (éthique aussi) et le front artistique (esthétique mais aussi au sens où l'architecture est un art), dans une interruption des mots et des comportements adéquats : un contre espace accueillant des contre conduites possibles, une expérience radicale de décentrement, une expérience radicale du monde même s'ouvrant, comme dans l'expérience de la joie,85 à un élargissement des expériences. Alors, sommes-nous avec elle transportés dehors, déplacés dedans ? Là où avec la pensée de Georges Bataille – l'un des plus grands écrivains aux yeux de Foucault – nous serions soit dehors soit dedans, Foucault, lui, en contrebandier ou en transfuge, ne situerait les choses précisément ni dehors ni dedans (ni du côté de la folie ni du côté des dispositifs qui l'enserrent), mais dans l'espace de l'effraction, dans l'intervalle où se creusent des horizons, un "dedans qui serait seulement le pli du dehors, comme si le navire était un plissement de la mer",86 traînant un sentiment d'être en perpétuelle traversée, connaissant et habitant les deux positions, s'exprimant depuis une certaine condition fugitive. À suivre cette pente nous irions rapprocher cette question de la transgression (de l'érotisme) selon Bataille, l'espace ou la pensée du dehors de Blanchot,87 cette tâche de franchir les limites si du moins on cherche à explorer les voies de l'excès qui pourrait se confondre avec celle d'une vie érotique, érotisme qui toujours chez Bataille devient le style assumé de cette vie autre qu'il a mené sur tous les plans de sa pensée personnelle, théorique, politique: l'érotisme concerne bel et bien l'expérience intérieure, l'expérience extrême du possible. La lecture et la découverte du thème de la transgression par Foucault a sans doute préparé du terrain pour la notion d'hétérotopie si celle-ci se voit comme une "éthique de la résistance"88 se situant au bord de la limite, à l'endroit de l'inquiétude et de la tentative de se frayer un chemin malgré tout : car nous sommes nous-mêmes divisés par la limite, dont le sillon profond représente notre "scissure";89 la plus importante des limites est "dedans", en soi. C'est pour cela sans doute que Foucault dira "qu'il n'y a pas d'autre point, premier et ultime de résistance au pouvoir politique que dans le rapport de soi à soi",90 que "se soulever" passe fatalement par une "resubjectivation"91 ou une tentative d'outrepasser la limite en soi.

Aussi, quand elles participent de ces transformations, de ces resubjectivations, les hétérotopies constituent "notre plus grande réserve d'imagination":92 là où le sujet recommence.93 Ce n'est pas pour rien si l'image des enfants habite de façon centrale le texte de Foucault: un lien noue fondamentalement enfance et histoire(s),94 "parce que sont indissociables expérience et imagination, parce que les enfants prennent les images au sérieux de leur capacité de hantise".95 Ainsi, dans les jeux sérieux auxquels s'adonnent les enfants, toujours se joue et se rejoue des gestualités et des formes de vie, toujours revient cette capacité de remettre en mouvement, de recommencer, sans fin. Rien n'est jamais joué d'avance, rien n'est donc jamais perdu pour l'expérience, ce qui signifie que certaines formes d'expériences sont à sauver, qu'elles se succèdent sans s'articuler, qu'elles peuvent s'accumuler et se transmettre, qu'elles peuvent se renouveler, revenir à nouveau et nous rendre nouveaux.96 S'agirait-il de recommencer, indéfiniment, jusqu'au désir enfin satisfait ? "Non. Pas question de paix, nous sommes inépuisables en expériences. Mais n'a-t-on pas déjà décomposé tout le décomposable, secoué le secouable, les formes, la lumière, les couleurs ? Non. Il reste nombre d'éléments… et l'espace."97

Les enfants inspirent Foucault dans la manière qu'ils ont de pénétrer l'évidence de l'espace pour en contester l'usage ordinaire, dans les "manières d'être" qu'ils inventent – ou plutôt dont ils héritent98 – pour rendre à l'espace sa profondeur d'expérience, retournant le sérieux de l'habiter adulte par le jeu sérieux que ces mêmes adultes leur ont soufflé,99 en hétérotopisant le "lit des parents" pour qu'il devienne un océan (on peut y nager entre les couvertures), un ciel (on peut y bondir sur les ressorts), une forêt (on peut s'y cacher), une nuit (on y devient fantôme entre les draps). De par ces manières d'être, et dans le cas d'une politique poétique des formes de vies, ou d'une "stylistique de l'existence"100 se saisissant, loin d'une volonté d'homogénéisation, de la dispersion et de la fragmentation des comportements humains, il n'y aurait pas d'appauvrissement de l'expérience ni de disparition du style, encore moins de non-lieux, mais telle expérience, telle forme de vie, tel geste, tel objet qui se transmet, qui apparait, qui disparait… de la sorte, nous retrouverions comme indissociable expérience et imagination, ou à jouer sur les titres, rêve et existence.

Ce qui est frappant à relire et réécouter Foucault parler des hétérotopies, c'est à la fois le caractère poétique au travail dans ses élaborations, et sa dimension programmatique. Foucault rêve d'une science dont il donne des principes. Rêver d'une science : étrange dissonance. La science ne s'est-elle pas constituée en partie par un contournement du rêve?101 Quoiqu'il en soit, ce n'est pas tellement dans le rêve que les hétérotopies s'accomplissent, mais plutôt dans ce que Georges Didi-Huberman a magnifiquement théorisé comme un "réveil aux rêves",102 qui ne désignerait pas la capacité du rêve à nous faire faire autrement l'expérience d'un autre monde, mais bien à nous faire faire autrement celle du monde lui-même, se révélant à l'altérité du monde autre qui, sans fin, nous traverse et nous transporte. Comme l'écrivait Foucault dans sa préface à Rêve et existence de Ludwig Binswanger en 1954: "Le rêve, c'est déjà cet avenir se faisant, le premier moment de la liberté se libérant, la secousse, secrète encore, d'une existence qui se ressaisit dans l'ensemble de son devenir":103 voici que l'avenir se constitue comme liberté dans le rêve. Façon peut-être également de désigner une politique de l'imagination qui saurait toujours travailler à arracher le rêve à l'oubli de l'éveil pour l'installer dans la réalité, la bousculant, quitte à la détruire. En ce sens, celle-ci constituerait une sorte de mouvement libératoire du sujet proche de ces hétérotopies ou, parallèlement, ces "pratiques d'espaces" alternatives104 dont a parlé Michel de Certeau, et qui au fil des modulations, renversant les mises à l'écart en prise de distance, les exclusions du discours en effraction de la parole, configurent un nouveau "partage du sensible".

Jacques Rancière qui a introduit cette notion dans son livre La mésentente préférait définir la politique non pas comme faite de "rapports de pouvoir" – qu'on peut trouver partout car "loin de s'exercer dans une sphère générale ou appropriée, la relation de pouvoir s'insère partout où il y a des singularités même minuscules",105 le voisinage, les querelles d'enfants et de parents, les querelles de bistrots, les passions secrètes, etc. – mais faite de "rapports de mondes",106 c'est-à-dire cette tentative de faire entrer des mondes dans d'autres mondes, d'ajuster dans certains espaces des mondes qui ne coexistaient pas auparavant, de s'éloigner d'une vision de la politique comme moment d'unification homogénéisante des espaces hétérogènes et des projets de vie différents. Il était question pour Rancière, dans les développements qui le mène à cette formule, de l'effraction de la parole et de la présence d'une femme, Jeanne Deroin, aux élections législatives françaises de 1849, qui avait provoqué le tremblement d'un "universel" citoyen législateur masculin, et l'espacement, toujours à poursuivre, d'un nos summus nos existimus (nous sommes, nous existons) comme subjectivation politique et antagonisme de rapports de mondes, fonctionnant encore plus intensément lorsque l'hétérotopie joue partie liée d'une hétérologie, une logique de l'autre, mais au sens de l'altérité de l'exclu – des exclus de l'espace public, de l'espace de la règle, de la loi, de l'ordre, dans la mise à l'écart des lieux et des sujets.

Nous n'en finissons décidément pas avec les hétérotopies. Malgré tout, nous ne pouvons pas nous considérer dans un moment fort de l'œuvre de Foucault, où celui-ci porterait haut la voix, depuis une position intimidante du savoir, mais bien nous situer dans une généalogie ombreuse, au sein de laquelle il s'agit de déjouer les subtils mots de passe et mots d'ordre qui visent, à travers ce nom, des effets subreptices. Aucune autorité : entreprendre l'archéologie, ramener les pratiques à leur arché qui est à la fois leur commencement et commandement, "c'est apprendre à ne pas se laisser tyranniser par les origines, en un geste qui est tout à la fois d'historicisation et d'émancipation."107 N'est-ce pas d'ailleurs ceci la tâche de la critique? L'apprentissage d'un geste qui tente de se déprendre des ruses de la domination, de ralentir le temps de hâte qui rythme nos manières de "prendre au mot", de refuser le détachement ironique, ramenant les pratiques à la situation qui les a constituées pour en désarmer l'effet d'intimidation, de "référer les savoirs aux procédures qui les fondent, rapporter les discours aux contextes de leur énonciation, expliciter les points de vue – en un mot, pour parler comme Pierre Bourdieu, vendre la mèche."108 De cette manière, ouvrir des devenirs et des transmissions possibles, dans une histoire d'utilisation en récit de trafic et contrebande, pourrait se penser à l'aune de ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari disaient dans Qu'est-ce que la philosophie?: "L'histoire de la philosophie n'implique pas seulement qu'on évalue la nouveauté historique des concepts crées par un philosophe, mais la puissance de leur devenir quand ils passent les uns dans les autres."109

Le trajet des hétérotopies est long, hasardeux et risqué. C'est que la migration du concept dans d'autres champs exige, du lieu depuis lequel il est mobilisé, à la fois rigueur conceptuelle et nécessité d'imagination, ou pour le dire autrement selon cette phrase devenue célèbre que Vladimir Nabokov aurait un jour prononcé face à ses étudiants : "Un écrivain doit avoir la précision d'un poète et l'imagination d'un scientifique." Dès lors, pas de science sans imagination, pas d'art sans réalité. De l'imaginaire peut ainsi opérer dans les hétérotopies,110 mais elles ne peuvent en aucun cas être réduites simplement à des lieux imaginaires, au risque de détruire la spécificité réelle et localisée du concept. L'hétérotopie est nécessairement un endroit (même de passage) habité et peuplé de personnes. L'image de rêve de Foucault et ses hétérotopies n'auront pas fabriqué une métaphore ou une "stylisation" de l'expérience à la fois rhétorique et illusoire, mais auront engagé un style d'existence autre dans lequel penser les résistances sauraient ne pas se désintriquer d'une nécessité des lieux autres dans lesquels de telles contre-conduites ou "style de vie" pourraient naître. L'ultime leçon de ce "style de vie", où gît le problème éthique lui-même,111 Foucault n'aura pas le temps de la prononcer, interrompu par la mort le 25 juin 1984. Nous pouvons cependant lire sur la dernière page du manuscrit de son dernier cours, cette déclaration bouleversante : "Ce sur quoi je voudrais insister pour finir c'est ceci: il n'y a pas d'instauration de la vérité sans une position essentielle de l'altérité. La vérité, ce n'est jamais le même. Il ne peut y avoir de vérité que dans la forme de l'autre monde et de la vie autre."112

7. Conclusion

Telle est donc l'hétérotopie, un des concepts les plus complexes à aborder du corpus foucaldien tant son champ est vaste, sa compréhension intime, sa capture à la fois trop facile et impossible. Tout au long de l'article, nous nous sommes efforcés de lui rendre de la rigueur, appelant une analyse qui relève à la fois des concepts d’expérience, d’imagination et d’altération. Des "espaces impensables" aux "espaces autres", de l'hôtel du voyage de noces aux prisons, des Luna Park aux zones à défendre, les hétérotopies auront prodigieusement traversé les frontières de ce qui était pensable sous un même concept. Il est certain que le succès de sa réception s'explique en partie en ce qu'il préfigure et nécessite la pensée de l'espace, si actuelle. On pourrait le dire avec Frédéric Gros, en forgeant des néologismes comme l'hétérotopie, qui ont dessiné de nouveaux objets de pensée, Michel Foucault n'a pas inventé une nouvelle philosophie, mais une nouvelle manière de faire et de fuir dans la philosophie.113 Voici donc la ligne de fuite, pleine de torsions, qu'il nous a fallu suivre. En élargissant l'analyse à d'autres auteurs et d'autres bibliothèques, nous avons essayé de montrer que la pensée du dehors de Blanchot, la dimension transgressive de l'érotisme selon Bataille, ont profondément influencé la "pensée autre" de Foucault dans laquelle sa notion d'hétérotopie occupe une place centrale.

On sait que Walter Benjamin, à l'inverse de Carl Schmitt qui ne s'était intéressé qu'à la tradition du pouvoir, concevait l'histoire comme la tâche de s'emparer de la tradition des opprimés.114 À l'instar de ce combat pour les hommes et les femmes sans noms auxquels sont dédiés la construction historique, Foucault a consacré son travail archivistique à cette même tradition des opprimés à travers l'attention portée aux vies infimes et infâmes.115 L'histoire des déviances et de leurs traitements institutionnels qu'il dessine tout au long de sa vie – psychiques avec l'asile, somatiques avec la clinique, pénales avec la prison, sexuelles avec les dispositifs discursifs qui l'entourent (de la médecine au droit, de la biologie ou l'éthologie à la psychanalyse) – s'est ainsi conjuguée chez lui d'une pensée des lieux depuis lesquels une telle tradition des opprimés puisse se reconnaître, se rassembler, et éventuellement lutter.116 Nous pourrions ainsi situer les hétérotopies dans cet effort de rendre visibles et audibles les voix et les vies fragiles des marginaux relégués dans l'ombre de la représentation politique, c'est-à-dire comme définissant les espaces interstitiels depuis lesquels des décalages sont possibles.

Les hétérotopies sont bel et bien, comme il le confirme dans la septième leçon de son cours Le discours de la sexualité donné à l'Université de Vincennes en 1969, à la distinction des utopies faites de discours, des "régions de l'espace, institutions qui impliquent un certain nombre de conduites spécifiques, hétérogènes aux conduites quotidiennes".117 Les récits de ces lieux racontent avec acuité comment ils prennent sens sous l'activité "poétique" (la poíêsis comme fabrication) des individus ou des communautés qui y sont embarqués ou qui se les approprient, et comment l'usage de leur délimitation, le rapport de frictions que ces lieux entretiennent avec les autres, est proprement politique en ce qu'il concerne le réseau entier des lieux, donc la "cité".

Nous ne pouvons pas dire, et le philosophe Etienne Helmer, malgré sa critique, va dans ce sens, que finalement tous les lieux sont des hétérotopies : proposition relativiste qui nierait la singularité du concept d'hétérotopie. Les hétérotopies ne sont pas des lieux comme les autres, également tous différents, mais des lieux parmi d'autres, autrement autres. À quels lieux peut s'étendre ce principe de différenciation et sous quelles conditions peut-il être pensé : poser et répondre à cette question a été l'objet de notre entreprise. Nous aurons essayé de démontrer qu'il n'est pas pertinent d'invoquer le concept d'hétérotopie sans engagement et attention pragmatique, c'est-à-dire sans lutte pour un possible et sans réflexion quant aux effets d'une telle invocation. La référence à l'hétérotopie dans la critique de la "surmodernité' n'a sans doute pas aidé à localiser le concept. Loin d'une logique de disqualification en "non-lieux",118 c'est la différence entre les lieux qui est ce qui doit être pensé chez Foucault. Ses hétérotopies nous permettent finalement de dés-utopiser la possibilité du dehors, inscrivant l'utopie dans des lieux réels, et liant le lieu à la précipitation d'un puissant imaginaire. Si la dimension utopique est essentielle dans la manière dont nous habitons tout lieu,119 nous comprendrons l'extraordinaire multiplicité des reprises du concept d'hétérotopie par l'ouverture que donne Foucault à cet élément utopique de l'inestimable valeur sensorielle qui émane de l'architecture même des lieux. Ce qu'on a compris, ce qu'on a cru comprendre après Foucault, c'est la manière par laquelle la saveur utopique, formidable ou redoutable, de la matérialité des lieux, peut ouvrir, fermer ou transformer des sociétés. En d'autres termes, comment les lieux peuvent agir comme matériel d'exclusion, ou au contraire, comme ressources de recommencements.

Notes

  1. Michel Foucault, Œuvres (Paris: Gallimard, coll. "La Pléiade", vol. 1, 2015), 1036. [^]
  2. Foucault, Œuvres, 1037. [^]
  3. Foucault, Œuvres, 1037. [^]
  4. Michel Foucault, "L'homme est-il mort?", Dits et écrits I, 1954–1975. Édition publiée sous la direction de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration de Jacques Lagrange (Paris: Gallimard, coll. Quarto, 2001), 572. [^]
  5. Michel Foucault, Œuvres, 1036. Avec l'être et le non-être, le fini et l'infini, le même et l'autre fait partie des distinctions les plus fondamentales de la pensée occidentale. Foucault, par exemple, avait soutenu dans sa thèse de doctorat que la raison a son origine dans un partage entre elle-même et son autre (Folie et déraison). Il est possible que Foucault fasse également référence dans ce passage à la différence entre "sociétés chaudes" et "sociétés froides" chez Claude Lévi-Strauss, la pensée moderne étant structurée autour du principe de non-contradiction (on ne peut affirmer à la fois p et non-p en même temps) et de la dialectique qu'il met en place, la pensée primitive violant ce principe autour de "la loi de participation" théorisée par Lucien Lévy-Bruhl, "croyances" en des événements et représentations du monde dans lequel des objets, des êtres et des phénomènes peuvent être eux-mêmes et autre chose qu'eux-mêmes. [^]
  6. Foucault, Œuvres, 1039. [^]
  7. Foucault, Œuvres, 1038. [^]
  8. Georges Didi-Huberman, Désirer. Désobéir. Ce qui nous soulève, tome 1 (Paris: Éditions de Minuit, 2019), 444. [^]
  9. Foucault, "Présentation", Dits et écrits I, 893. Nous reviendrons sur le thème de la transgression en conclusion de cet article. [^]
  10. Michel Foucault, "La vie des hommes infâmes", Dits et écrits II, 1976–1988. Édition publiée sous la direction de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration de Jacques Lagrange (Paris: Gallimard, coll. Quarto, 2001), 241. [^]
  11. Foucault, Œuvres, 1045. [^]
  12. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1571–1581. [^]
  13. Michel Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies (Paris: Lignes, 2009). [^]
  14. Michel Foucault, L'Archéologie du savoir (Paris: Gallimard, 1969), 28. [^]
  15. A l'université de Tunis, Foucault consacre un cours à l'idée d'homme dans la culture occidentale moderne. Ce cours et le manuscrit inédit sur le discours philosophique sont conservés dans les archives de la BNF, Boîte 58. Ces recherches portent la marque d'une série d'inflexions que Michel Foucault opère durant ces années, dont celle du recentrement sur le discours envisagé comme un ensemble de pratiques réglées (déplacement qui sera lisible dans L'Archéologie du savoir en 1969). Foucault s'attache ainsi à l'analyse des discours dans leur épaisseur et leur existence propres, c'est-à-dire aux différents "modes d'êtres" des discours quotidiens, littéraires, scientifiques et philosophiques. Le cours dispensé à Tunis (1966–1967) traite du problème de l'homme dans le discours philosophique et la culture modernes, Foucault distinguant "langage" et "discours" dans l'opposition entre le "langage humain" énoncé par un sujet qui vise à signifier quelque chose, et le "discours non humain" sans sujet, extérieur à l'homme et constitué d'un ensemble d'éléments obéissants à des règles syntaxiques (cf. BNF, Boîte 58). [^]
  16. Jean Daniel, "La passion de Michel Foucault," Le Nouvel Observateur, 29 juin 1984. Il faut ici faire une remarque importante. Pour Foucault, "fuir la philosophie" ou trouver des refuges dans la littérature et dans les livres d'histoire (comme il le dira dans une lettre datée de Tunis en février 1967), ne consiste jamais à sortir de la philosophie, position confortable s'il en est, mais à mettre en question radicalement le rôle et le lieu de la pensée pour son présent. [^]
  17. Foucault, "Chronologie", Dits et écrits I, 38. [^]
  18. Foucault, "Chronologie", Dits et écrits I, 38. [^]
  19. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1574. [^]
  20. Daniel Defert, "Hétérotopie: tribulations d'un concept entre Venise, Berlin et Los Angeles" in Le corps utopique, les hétérotopies, par Michel Foucault, 37–61. [^]
  21. Michel Agier, "Le campement urbain comme hétérotopie et comme refuge. Vers un paysage mondial des espaces précaires," Brésil(s), no. 3 (juin 2013): 11–28. [^]
  22. Agier, "Le campement urbain comme hétérotopie et comme refuge. Vers un paysage mondial des espaces précaires,» 11–28. [^]
  23. Michel Foucault, La pensée du dehors (Montpellier: Fata Morgana, 1986), 28. [^]
  24. Michel Agier, Un monde de camp (Paris: La Découverte, 2014). [^]
  25. Foucault, "Espace, savoir et pouvoir", Dits et écrits II, 1089–1104. [^]
  26. Edward Soja, "Heterotopologies: a Remembrance of Other Spaces in the Citadel-LA," in Postmodern Cities and Spaces, ed. by Sophie Watson and Katherine Gibson (Oxford, UK: Blackwell, 1995)13–34. Article développé dans le livre d'Edward Soja, Thirdspace: Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places (Cambridge (Mass.): Blackwell, 1996). Comme l'écrit Daniel Defert dans le petit livre sur les hétérotopies, E. Soja interprète celles-ci en tant que thirding, "Thirding-as Othering", interprétation qu'il traduira en termes de Troisième espace (Thirdspace), troisième élément dans la dialectique, qui se trouvera être l'espace vécu, inscrit dans une relation dialectique au sein de la "triplicité": le perçu, le conçu, le vécu; voir Henri Lefebvre, La production de l'espace (Paris: Anthropos, 1974). [^]
  27. Didi-Huberman, Désirer. Désobéir, 453. [^]
  28. Voir Michiel Dehaene and Lieven De Cauter [eds.], Heterotopia and the City: Public Space in a Postcivil Society (London: Routledge, 2008). Ainsi que Watson and Gibson, Postmodern Cities and Spaces. [^]
  29. Voir Agier, Un monde de camps. [^]
  30. Hakim Bey, TAZ, Zone autonome temporaire (Paris: Editions de l'Eclat), 1997. [^]
  31. Voir Matthew Gandy, Ecologie queer, Nature, Sexualité et Hétérotopie (Paris: Editions Eterotopia, 2015). [^]
  32. Pour la distinction isotopies/hétérotopies/utopies voir Henri Lefebvre, La pensée marxiste et la ville (Paris: Casterman, 1972), 79. Pour la reprise de la notion d'hétérotopie chez Henri Lefebvre, voir La production de l'espace (Paris: Anthropos, 1974), notamment p. 190 et p. 422. Nous renvoyons également à l'article de Thierry Paquot, "Redécouvrir Henri Lefebvre," Rue Descartes 63, no. 1 (2009): 8–16. Enfin, sur la thématique capitaliste: François Fourquet, "Généalogie du capital. v. 1: Les équipements du pouvoir: villes, territoires et équipements collectifs," Paris: Recherches, no. 13 (décembre 1973). Citons ici également l'usage de l'hétérotopie comme articulation architecturale des inconvenances du monde par George Teyssot, "Heterotopias and the history of spaces," Architecture and Urbanism 121, no. 10 (October 1980): 79–110. [^]
  33. Didier Eribon, Réflexions sur la question gay (Paris: Fayard, 1999). [^]
  34. Tania Navarro Swain, "Les hétérotopies féministes: espaces autres de création," Labrys, études féministes, no. 3, (janvier/juillet 2003). [^]
  35. Frank Lestringant "Hétérotopie, hétérologie: espaces autres, espaces de l'autre dans la littérature des voyages (XVIe – XIXe siècles)," Séminaire à l'Université Paris-Sorbonne, 2010–2011. [^]
  36. Voir Marc Augé, Non-lieux: introduction à une anthropologie de la surmodernité (Paris: Le Seuil, 1992). L'hétérotopie étant régulièrement rapproché de la notion de "non-lieu" devenue célèbre à la suite de cet ouvrage, "non-lieux" désignant avant tout des espaces sociaux interchangeables où l'être humain, loin d'être amené à faire une expérience de soi, se trouve à l'inverse plongé dans l'anonymat. [^]
  37. En plus de l'apport essentiel de Daniel Defert que nous avons précédemment cité, nous pouvons au moins ajouter l'article de Philippe Sabot, voir Philippe Sabot, "Langage, société, corps. Utopies et hétérotopies chez Michel Foucault," Materiali Foucaultiani I, no.1 (2012): 17–35.; ainsi que la tentative de circonscription de l'hétérotopie d'Hélène Doyon dans sa thèse de doctorat, voir Hélène Doyon, "Hétérotopie: de l'in situ à l'in socius," thèse de doctorat en études et pratiques des arts, Université du Québec à Montréal, 2007. [^]
  38. Il n'est pas nécessaire de pointer du doigt les usages qui nous paraîtrait inconséquent mais on peut retrouver des exemples éclairants de cette attitude chez Françoise Gaillard, "Du danger de penser," ainsi que Bruno Latour "Autour d'une controverse, deux hétérotopies parallèles" in Oser construire pour François Jullien, édité par Jean Allouch et al. (Paris: Les Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, 2007), 9–8 et 131–142. Nous pouvons aussi mentionner Jean-Louis Sous, Lacan et la politique. De la valeur (Paris: Erès, 2017), 53–58. [^]
  39. Donna Haraway, When species meet (Minneapolis: University of Minnesota Press, 2008), 41–42. Sur les savoirs situés et la perspective partielle, voir Donna Haraway, "Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective," Feminist Studies 14, no. 3 (Autumn 1988): 575–599. [^]
  40. Georges Didi-Huberman, Quand les images prennent position. L'œil de l'histoire, 1 (Paris: Les Éditions de Minuit, 2009). [^]
  41. Georges Didi-Huberman, "Position de l'exilé," Lignes 26, no. 2 (mai 2008): 64–65. [^]
  42. Sur les liens qui se jouent entre esthétique et politique une incarnation paradigmatique pourrait se trouver dans la figure de Bertolt Brecht, voir Didi-Huberman, Quand les images prennent position. [^]
  43. William James, Essays in radical empiricism (Nebraska: University of Nebraska Press, 1996), 22. [^]
  44. Paul B. Preciado, "Lettre d'un homme trans à l'ancien régime sexuel," Libération, 15 janvier 2018. [^]
  45. Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle: le livre des passages (Paris: Cerf, 1989). [^]
  46. Mathieu Potte-Bonneville, Michel Foucault, l'inquiétude de l'histoire (Paris: Puf, 2004). [^]
  47. Didi-Huberman, Désirer. Désobéir, 448. Nous reviendrons sur cette thématique en fin d'article. [^]
  48. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1571. [^]
  49. "Tournant" désigné depuis les années 1980–1990 dans l'histoire des sciences et dans les sciences sociales en général, depuis un ancrage dans le monde anglophone, le « spatial turn » condenserait une série de travaux recourant à l'espace pour « spatialiser l'histoire » (M. Foucault, E. Said, P. Carter), « localiser la culture » (C. Geertz, E. Goffman, A. Giddens), « situer la rationalité » (E. Casey, C. Taylor, D. Haraway). [^]
  50. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1573. [^]
  51. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1573. [^]
  52. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1573. [^]
  53. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1574. [^]
  54. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1574. [^]
  55. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1574. [^]
  56. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1575. [^]
  57. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1582. Nous commentons dans le passage. [^]
  58. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1576. [^]
  59. Michel Foucault note certaines survivances tel "le collège, sous sa forme du XIXe, ou le service militaire pour les garçons (…) les premières manifestations de la sexualité virile devant avoir lieu précisément "ailleurs" que dans la famille." Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1576. [^]
  60. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1576. [^]
  61. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1576. [^]
  62. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1577–1578. [^]
  63. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1578. [^]
  64. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1579. [^]
  65. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1580. [^]
  66. Foucault, "Des espaces autres", Dits et écrits II, 1580. [^]
  67. Michel Foucault, La sexualité, suivi de Le discours de la sexualité (Paris: Seuil/Gallimard, 2018) 187. [^]
  68. Foucault, La sexualité, suivi de Le discours de la sexualité, 188. [^]
  69. Foucault, La sexualité, suivi de Le discours de la sexualité, 188. [^]
  70. Dans les notes du cours, Claude-Olivier Doron signale que le cas de ces "maisons de jeunes" (bukumatula en Mélanésie) est décrit par Bronislaw Malinowski dans La Sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, trad. par S. Jankélévitch (Paris: Payot 2001 [1932]), 82–83, et dans La Vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie, trad. par S. Jankélévitch, préf. de H. Ellis (Paris: Payot 1970 [1930]), 64. [^]
  71. Didier Eribon [dir.], L'infréquentable Michel Foucault. Renouveaux de la pensée critique (Paris: EPEL, 2001). [^]
  72. Doyon, Hétérotopie: de l'in situ à l'in socius, 98. [^]
  73. Arun Saldanha, "Heterotopia and structuralism," Environment and Planning A: Economy and Space 40, no. 9 (September 2008): 2080–96. [^]
  74. C'est de cette manière qu'il est envisageable de comprendre la littérature pléthorique des reprises anglo-saxonnes: "Main St in Disneyland (Philips, 2002), Las Vegas architecture (Chaplin, 2000), El Paso's Border Control Museum (Barrera, 2003), a Buddhist monument in Kathmandu (Owens, 2002), ethnographic exhibits (Kahn, 1995), 19th century women's colleges (Tamboukou, 2000), Vancouver's public library (Lees, 1997), factories (Ahlback, 2001), alternative theatre (Cheng, 2001), Istanbul's Four Seasons Hotel (Kezer, 2004), Greek-American fiction (Kalogeras, 1998), cyberporn (Jacobs, 2004), coops (North, 1999), Kafka's oeuvre (Bogumil, 2001), Johannesburg's security parks (Hook and Vrdoljak, 2002), global capitalism (Wilke, 2003), media technology (Jones, 2004), landscapes (Guarassi, 2001), and postmodernity (Relph, 1991)". Voir Saldanha, "Heterotopia and structuralism," 2083. [^]
  75. Voir Michel Agier, "Le biopouvoir à l'épreuve de ses formes sensibles. Brève introduction à un projet d'ethnographie des hétérotopies contemporaines," Chimères 74, no. 3 (juillet 2010): 259–270. [^]
  76. David Harvey, "Cosmopolitanism and the Banality of Geographical Evils," Public Culture 12, no.2 (May 2000): 529–564. [^]
  77. Sur la constellation des foyers de pouvoir disséminés partout dans la société: "Contre ce privilège du pouvoir souverain j'ai voulu essayer de faire valoir une analyse qui irait dans une autre direction. Entre chaque point d'un corps social, entre un homme et une femme, dans une famille, entre un maître et son élève, entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, passent des relations de pouvoir qui ne sont pas la projection pure et simple du grand pouvoir souverain sur les individus; elles sont plutôt le sol mobile et concret sur lequel il vient s'ancrer, les conditions de possibilité pour qu'il puisse fonctionner." Voir Foucault, "Les rapports de pouvoir passent à l'intérieur des corps", Dits et écrits II, 232. [^]
  78. Maurice Blanchot, Exercices de la patience, no. 2 (hiver 1981), 106. [^]
  79. Georges Didi-Huberman, Remontages du temps subi. L'œil de l'histoire, 2 (Paris: Les Éditions de Minuit, 2010), 121. [^]
  80. Foucault, "Qu'est-ce que les Lumières?", Dits et écrits II, 1506. [^]
  81. Doyon, Hétérotopie: de l'in situ à l'in socius, 56. [^]
  82. Edward Soja, Postmodern Geographies: The Reassertion of Space in Critical Social Theory and the Politics of Difference (London/New-York: Verso, 1989); Cornel West, "The New Cultural Politics of Difference," October 53, (Summer 1990): 93–109; Daphne Spain, Gender Spaces (Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 1992); Derek Gregory, Geographical Imaginations (Oxford: Blackwell, 1993) et Kevin Hetherington, The Badlands of Modernity: Heterotopia and Social Ordering (London: Psychology Press, 1997). [^]
  83. Foucault, "Des espaces autres" Dits et écrits II, 1579. [^]
  84. Henri Michaux, Passages (Paris: Gallimard, 1951). [^]
  85. Jean-Louis Chrétien, La Joie spacieuse. Essai sur la dilatation (Paris: Les Éditions de Minuit, 2007). [^]
  86. Gilles Deleuze, Foucault (Paris: Editions de Minuit, 2004), 104. [^]
  87. Voir Michel Foucault, "La pensée du dehors," Critique, no. 229 (juin 1966): 523–546. [^]
  88. Didi-Huberman, Désirer. Désobéir, 449. [^]
  89. "Elle est plutôt scissure : non pas autour de nous pour nous isoler ou nous désigner, mais pour tracer la limite en nous et nous dessiner nous-mêmes comme limite", voir Foucault, "Préface à la transgression", Dits et écrits II, 233. [^]
  90. Michel Foucault, L'herméneutique du sujet. Cours au Collège de France, 1881–1982 (Paris: Gallimard/Seuil, 2001), 241. [^]
  91. Didi-Huberman, Désirer. Désobéir, 478–498. [^]
  92. Foucault, "Des espaces autres" Dits et écrits II, 1582. [^]
  93. Didi-Huberman, Désirer. Désobéir, 478. [^]
  94. Giorgio Agamben, Enfance et histoire. Destruction de l'expérience et origine de l'histoire (Paris: Payot, 1989). [^]
  95. Georges Didi-Huberman, "Ouvrir les camps, fermer les yeux," Annales. Histoire, Sciences Sociales 61, no. 5 (Septembre–Octobre 2006): 1011–1049. [^]
  96. Patrick Boucheron, "Renouveler l’expérience : introduction générale," L'expérience communale 2016–2017, Séminaire au Collège de France, Paris (mai 2017). https://www.college-de-france.fr/site/patrick-boucheron/seminar-2017-05-02-16h00.htm. [^]
  97. Michaux, Passages, 67. [^]
  98. "les enfants n'inventent jamais rien; ce sont les hommes, au contraire, qui ont inventé les enfants, qui leur ont chuchoté leurs merveilleux secrets; et ensuite, ces hommes, ces adultes s'étonnent, lorsque ces enfants, à leur tour, les leur cornent aux oreilles.", voir Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, 24. [^]
  99. Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, 24. [^]
  100. Marielle Macé, Styles. Critique de nos formes de vie (Paris: Gallimard, 2016). [^]
  101. Le contournement du rêve et l'exclusion de la folie par Descartes dans sa première Méditation Métaphysique, voir Michel Foucault, "Le grand renfermement", in Histoire de la folie à l'âge classique (Paris: Gallimard, 1972), 56–57. Même si il est amusant de noter que le désir de développer les sciences aurait été communiqué à Descartes à travers l'un de ses songes. [^]
  102. Georges Didi-Huberman, Désirer. Désobéir, 459–477. [^]
  103. Foucault, "Introduction", Dits et écrits I (Paris: Gallimard, 2001), 127. [^]
  104. Voir Michel de Certeau, La Culture au pluriel (Paris: Union Générale d'Editions, 1974); L'invention du quotidien, I. Arts de faire (Paris: Gallimard, 1990). [^]
  105. Deleuze, Foucault, 35. [^]
  106. Jacques Rancière, La mésentente. Philosophie et politique (Paris: Galilée, 1995), 67. [^]
  107. Patrick Boucheron, Au banquet des savoirs. Éloge dantesque de la transmission (Bordeaux-Pau: Presses Universitaires de Bordeaux/Presses universitaires de Pau et des Pays de l'Adour, 2015), 6. [^]
  108. Patrick Boucheron, Au banquet des savoirs, 7. [^]
  109. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu'est-ce que la philosophie? (Paris: Éditions de Minuit, 1989), 36. [^]
  110. Foucault explicitera en 1969, à travers une série d'exemples, le contenu utopique de certaines hétérotopies, la réalisation exacte d'une utopie que sont certaines autres, et les liens, par l'intermédiaire de l'utopie, que des hétérotopies entretiennent avec l'idéologie, voir Foucault, La sexualité, suivi de Le discours de la sexualité, 190. [^]
  111. Foucault clôturait alors une longue interrogation sur les rapports entre subjectivation et vérité, en revenant à de très vieux problèmes dans la culture occidentale où se nouent dans le sujet humain la question de la vérité et la question de l'altérité. Voir Didi-Huberman, Désirer. Désobéir, 461. [^]
  112. Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le Gouvernement de soi et des autres II, Cours au Collège de France. 1984 (Paris: Seuil, 2008), 328. [^]
  113. Frédéric Gros, "Introduction" in Foucault, Œuvres, X. [^]
  114. Georges Didi-Huberman, Peuples en larmes, peuples en armes. L'œil de l'histoire, 6 (Paris: Les Éditions de Minuit, 2016) 407. [^]
  115. Pour un dialogue entre Benjamin et Foucault, voir Daniele Lorenzini, "Benjamin/Foucault: histoire, discontinuité, utopie", Phantasia, Volume 7 (2018). [^]
  116. Voir Didi-Huberman, Peuples en larmes, peuples en armes, 409. [^]
  117. Foucault, La sexualité, suivi de Le discours sur la sexualité, 187. [^]
  118. Augé, Non-lieux: introduction à une anthropologie de la surmodernité. [^]
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